Réduire les violences conjugales ... par la protection de l'Enfance !

30/11/2019

L'effort réalisé actuellement pour lutter contre les violences conjugales constitue un indéniable progrès. Cependant, on constate qu'une part importante des auteurs de violences conjugales ont vécu une enfance chaotique, des maltraitances affectives, physiques ou sexuelles. Est-ce un hasard ? L'expérience des professionnels et les études scientifiques suggèrent que la protection de l'Enfance constitue en réalité une prévention active, précoce et à long terme qui devrait impérativement compléter les actions engagées actuellement pour lutter contre les violences conjugales.

L'effort actuel des pouvoirs publiques pour lutter contre les violences conjugales est inédit et remarquable et l'on ne peut certainement que s'en féliciter. Par ailleurs, depuis quelques années, le sort des enfants qui sont exposés à ces violences conjugales est devenu une réelle préoccupation, et l'on tend à considérer (enfin !) qu'ils sont des victimes à part entière des violences conjugales. Il est vrai que les constats dans ce domaine sont incontestables :  d'abord parce que la violence d'un parent violent ne se limite souvent pas au couple et qu'il est fréquent que les enfants soient eux-mêmes victimes de maltraitances (Laroche, 2005) et, dans les situations dramatiques d'homicides conjugaux avec suicide, les enfants sont eux-mêmes tués dans 10% des cas (Institut National de Santé Publique, 2012). Ensuite, il est clairement établi que les violences conjugales dont les enfants sont témoins provoquent chez eux des troubles importants tels que des problèmes de comportements relationnels, des troubles anxieux et dépressifs, des symptômes post-traumatiques, des régressions affectives et des plaintes somatiques liées au stress (Bourassa, 2003; Dauvergne & Johnson,2002 ; Hindin & Gultano, 2006 ; Fortin & Robin, 2011) (Ci-dessous, le documentaire "Les enfants oubliés des femmes battues", récemment diffusé sur France 2)

De plus, on souligne à juste titre le fait que l'exposition des enfants à ces violences conjugales tendrait à  leur faire "reproduire" celles-ci : effectivement, les meilleures études dans ce domaine démontrent que ces enfants présentent une probabilité accrue de commettre eux-mêmes de violences à l'âge adulte (Ehrensaft, Moffitt, & Caspi, 2004). Toutefois, cette "transmission" de la violence est loin d'être mécanique (Fortin & Robin, 2011) et dépend de plusieurs facteurs. Ensuite,il faut noter que c'est le risque de ces enfants d'être eux-mêmes victimes de ces violences à l'âge adulte qui augmente le plus (Ehrensaft, Moffitt, & Caspi, 2004).  Autrement dit, les enfants témoins de violences ont davantage tendance à s'exposer eux-même à des relations violentes et toxiques que d'être eux-mêmes auteurs de violences. Quoi qu'il en soit, ces recherches indiquent toutes une direction essentielle et souvent minimisée ou ignorée pour la réduction des violences conjugales : l'enfance et sa protection. 

Les auteurs de violences conjugales rapportent en effet très fréquemment des enfances chaotiques, faisant état de maltraitances affectives, physiques ou sexuelles. Est-ce une excuse, une tentative de justifier ou de minimiser des actes répréhensibles ? Certes, on pourrait le suspecter. Toutefois, il faut rappeler que la plupart des études sur le passé des auteurs de violences sont réalisées anonymement, indépendamment du cadre judiciaire, sans aucun bénéfice pour les auteurs de violences en question, que bien souvent ces auteurs s'expriment en minimisant qu'ils ont subis et que certaines de ces recherches sont des études dîtes "longitudinales" très peu susceptibles d'être manipulées par les répondants (tel que dans l'étude de Dunedin en Nouvelle-Zélande). Et les résultats qui en ressortent sont clairs : 

  • Les maltraitances physiques dans l'enfance augmentent significativement le risque de commettre des violences conjugales à l'âge adulte (Dutton & Nicholls, 2005 ; Lawson, 2001). En outre, le caractère humiliant des règles éducatives semble un facteur particulièrement prédisposant (Eherensaft, Cohen & al., 2003). Il est à noter que cette augmentation du risque de violence commise est observé également pour les femmes (Moffit & Caspi, 1999).
  • Les violences sexuelles subies dans l'enfance semblent être le type de maltraitance le plus influent dans ce domaine chez les garçons (Fang & Corso, 2007) tandis que la durée des maltraitance sexuelles subies augmente proportionnellement le risque de commettre des violences conjugales à l'âge adulte (Herrman, 2009). D'ailleurs, le fait de subir des violences sexuelles dans l'enfance augmente non seulement le risque de commettre mais également le risque de subir des violences conjugales à l'âge adulte, autant pour les hommes que pour les femmes (Lafontaine & Luissier, 2002).   
  • Les carences affectives et éducatives exercent elles aussi un effet sensible : un style parental dit "incompétent" (incohérence éducative, manque de limites, de partage et de communication) est associé, en même temps que des conduites antisociales à l'adolescence, à un risque nettement accru de répétition des violences conjugales lorsqu'elles celles-ci sont observées entre les parents durant l'enfance par les sujets masculins (Capaldi & Clarck, 1998). Par ailleurs, le rejet de l'enfant par le père est fortement corrélé en lui-même au risque ultérieur de commission de violences conjugales chez les hommes (Dutton, 1995), de même que l'absence d'un des deux parents durant l'enfance (Moffit & Caspi, 1999). 
A l'évidence, les histoires d'enfance chaotiques ou violentes ne sont pas de simples excuses et il serait dans tous les cas inadmissible que l'on excuse la violence par la souffrance supposée de l'agresseur. Les maltraitances de tous types sont d'évidence des facteurs puissants qui précipitent les individus dans la rage, l'incapacité à construire des relations équilibrées et dans des comportements d'emprise qui font le lit des violences conjugales. Par conséquent, tous les efforts qui seront faits pour protéger l'Enfance constituent une prévention active, précoce et à long terme qui doit impérativement compléter les actions engagées actuellement pour lutter contre les violences conjugales. Il faut espérer que le plan de mesures annoncé récemment à l'occasion du 20 novembre dernier par le secrétaire d'Etat à l'Enfance, Adrien Taquet, sera efficacement et solidement mis en oeuvre. 

Lucie DIMINO & Vincent CAUX - Les Enfants en Morceaux © 2019 (pour toute citation, prière de citer les auteurs)
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